par Seb Jacques Pellé dit Saintazy
 

Les Pères Jacques, on peut dire c’est des gars ils ont pas froid aux yeux. Déjà un nom pareil, tu te dis c’est des gars ils veulent faire l’original. Dans l’inédit, genre. Ça sent l’innovation à vous faire oublier toute l’histoire de la chanson française. A croire qu’ils s’y sont mis à plusieurs. Au moins trois, si c’est pas deux. 

Des groupes, t’en as à la pelle qui se seraient dit c’est pas pour nous. D’ailleurs des groupes, t’en as à la pelle tout court. Ils se seraient dit, les autres gars des autres groupes : nous on veut pas ressembler à ça. Eux, si, ils se le sont dit, les gars des Pères Jacques. On veut ressembler à un groupe qui ressemble pas, alors on va à peine s’appeler, on va peiner à s’appeler jusqu’à la moëlle, qu’ils se sont dit. Et tu m’étonnes qu’ils peinent, les connards.

D’abord, y en a un, il est vieux. Celui qu’est gris. On l’appelle Hadès, à cause de son grand âge, eh pis parce qu’on a des lectures, chez les Pères Jacques. Eh pis encore pour le distinguer des deux autres, qui sont tout jeunes comme des connards. T’as l’impression à les regarder que c’est lui qu’a eu l’idée. Les autres ont dû suivre, tu te dis, ils savaient pas, ils avaient sans doute pas grand-chose d’autre à foutre, les temps sont durs pour la jeunesse et y a des vieux tout gris qu’en profitent. Ça tu te le dis parce que toi aussi t’es un peu un connard. Eh pis il faut bien que tu t’expliques un peu les choses. Sinon, où va-t-on ?

Tu te dis ça mais c’est tout faux, parce que les idées du tout gris, qu’est en plus un peu plus petit que les autres, elles se sont arrêtées à 13 ans, époque des premières Ray Bans, qui étaient encore en bois, tu regarderas bien sur les photos. A l’époque, il attendait les trains, c’étaient des histoires à pas raconter et autant te dire que c’était pas dans l’Ohio. Des trains sans mari, des Bye Bye Maries Trains, ce qui justifiera un des ces premiers blues, et quelques maladies inavouables. Si tu veux tout savoir, c’était à… merde, c’était où déjà ?… je sais plus, une ville d’eau, mais c’est pas grave de toute façon qu’il attendait les trains, qu’est-ce que ça peut te foutre tu le connais pas, pis t’iras pas au concert vu que y en a jamais de prévus et que même si y en a t’iras quand même pas, et que même si t’y vas t’iras pas lui demander pourquoi qu’il attendait les trains ! Un peu de décence, t’en es capable je suis sûr.

Donc, le petit gris, il fume pas. Il boit beaucoup et la dernière idée qu’il a eue c’était de foutre en l’air la vie des deux que je vais bientôt t’en parler tu vas voir c’est guère mieux, à leur faire croire, qu’ils les as foutus dans la Bérésina (ils ont des lettres je te dis), qu’avec les Pères Jacques (il savait déjà que ça s’appellerait comme ça, l’enfoiré) ils allaient faire de la thune et ramasser des nanas (vu qu’il a des ambitions originales qui lui viennent de ce passé de rock’n roll dont tu peux en trouver la trace dans des gazettes locales interdites que ta grand-mètre lisait en cachette). Il leur a dit : les gars, voici la nouvelle chanson française, c’est comme les identités remarquables, on va se balader avec des lunettes de chiottes autour du cou, ça va faire un tabac, c’est moi qui sais.

Les autres, y savaient rien, ou si peu que c’est pas trop la peine d’en parler, on y perdrait du temps qu’on a vraiment pas vu qu’on bosse dur chez les Pères Jacques et qu’on se lève le matin avec la France entière qui bosse à peine moins qu’eux. Les autres, ils savaient donc pas grand-chose, je te l’ai dit, surtout le petit Black.

Celui qui a été viré.

Une histoire sombre.

Eh oui, au départ les Pères Jacques étaient quatre, mais j’ai pas le droit d’en parler. C’est pas un groupe démocratique (rapport à l’éminent gris). 

Les deux qui restent en savaient à peine plus.

Surtout le rouquin énorme avec des tâches de rousseur qu’avait la manie de péter à table et de trouver que la bouffe manquait de sel. Pour ça qu’ils l’ont viré, et là, pour le coup, on peut être que d’accord. Surtout avec Madame Jacques. Qui œuvre dans l’ombre, elle aussi, mais avec plus de recul, ce qui la sauve.

Si tu comptes bien, les Pères Jacques, au départ, ils étaient sept. Oui, sept. Ça aurait pu être un grand groupe.

Au lieu de ça, y en plus que deux que tu connais pas encore et crois-moi, je t’envie.

Le grand brun, celui qui chante. Celui qu’on aimerait bien que tu trouves beau. Celui que tu trouves beau. Celui qui est beau. Voilà, celui-là. Celui qu’a grossi. Il dirige tout. Un vrai tyran. Un gros tyran, en somme.

Il vient… merde, d’où qu’il vient ? Pas une ville d’eau. Une ville de trains également, ceci dit et ceci expliquant peut-être cela ! Un gars plein d’avenir. Une vraie terreur. Un foudre de guerre. Jamais un mot plus haut que l’autre. Que du bon. Du grandiose. Equanime. Rien à jeter. Eh bien c’est lui qui mène la barque ! Tout ce foin, là, c’est pour lui ! Ça part de lui, ça lui revient dessus et les autres c’est des satellites, des satellites de l’amour. A te fendre le cœur, laisse-moi t’en dire plus.

Le petit gris, Hadès, tu te souviens ? eh ben il était bien tranquille, il demandait plus rien à personne. Et personne lui demandait plus rien. En retraite. Pas encore malade. Et voilà l’autre terreur, la foudre en slip (tu regarderas bien les photos) qui s’amène et qui lui dit : j’ai tout compris, ça s’appelle la nouvelle chanson française, tu me dois bien ça et c’est moi qui sais, est-ce qu’on a des lunettes de chiottes et des Ray Bans (sic) ? 

L’histoire se répète. Une vraie destinée. La famille Borgia et les Atrides remixés, puisque les Pères Jacques, c’est pas la première fois que je te le dis, font pas dans la littérature. 

Qu’ils laissent aux autres. Les travailleurs de l’ombre. Ceux sans qui tout ne serait rien. Sans qui les Pères Jacques attendraient encore les trains ! ces connards !

Bon. Le beau gosse enveloppé, là, il leur a parlé des nanas et du pognon, aux deux autres gars, après le départ du Black et de l’Irlandais. Ça a fait mouche. Ni une ni deux. Vogue la galère, les Pères Jacques étaient nés. En plein mois de novembre. Les yeux pleins de merde. Tu parles d’une idée. 

Des autres, à leur place, ils s’en seraient tenus à ça. Y aurait pas eu de honte. Mais tu comprends maintenant, si t’as bien suivi, que la honte n’est pas pour arrêter un Père Jacques, encore moins deux. Au contraire, on dirait qu’elle les galvanise ces salauds. C’est à qui sera finalement le plus honteux, le plus piteux, le plus pitoyable de honte, voilà le mot d’ordre Père Jacques, pourrait-on dire, sans trop s’avancer ni s’écarter du sujet. Un vrai scandale. « Laisseriez-vous votre fille sortir avec un Père Jacques ? » est désormais une question qu’on doit poser dans toutes les bonnes familles. Surtout à cause d’Hadès.

La question des responsabilités reste ouverte en ce qui concerne l’apparition de ce groupe amoral, nietzschéen, symptômatique d’une époque en mal d’idéaux, qu’est les Pères Jacques. Radicalement opposé à toute idée de scrupule, étranger à tout héritage judéo-chrétien, hermétique à tout sens de la culpabilité, les Pères Jacques sont un groupe qu’il faudrait interdire. Dans certains clips, ils maltraitent des animaux. Tu crois qu’ils sont faux, mais c’est pas vrai. Les Pères Jacques est un fléau qu’il faut arrêter avant qu’il ne prenne de l’ampleur, pour le bien de notre civilisation, de notre bon goût et des filles de bonne famille. Je plaisante pas. Regarde les photos. Des gens en souffrent. Imagine qu’un jour ils passent à la télé, comment t’expliqueras ça à tes gosses ? Les Pères Jacques sont responsables de la déforestation, de la hausse du chômage et du prix de l’essence, de la famine et des guerres dans le monde, ils regardent les Jeux Olympiques à la télé et vont au Canada, ils se moquent des gens de petites tailles et, crois-le si tu veux, ils chantent en français. Des vrais fumiers, sanguinaires, une belle brochette d’ordures. Ils chanteraient au Grand Prix, si tu vois ce que je veux dire.

Mais là je sens que tu te méfies.  Tu te dis c’est pas possible, on peut pas foutre une merdier pareil ni représenter une telle menace pour la FM à deux. 

Eh ben, si, les Pères Jacques il est deux. Hadès et le James Dean de la capitale des alliages et des aciers inoxydables. Autrement dit deux types qui ont des circonstances atténuantes, parce qu’eux-mêmes considérablement atténués. Par l’alcool. Et l’ambition. Et l’âge. Et l’obésité.

Non, non, y en a pas d’autres. Ce sont deux pauvres bougres qu’il faut pardonner, absoudre même, qui ne savaient pas et qui croyaient pourtant savoir, deux brebis égarées que la vie avait condamnés à se rencontrer, en pleine vague de fièvre bleue. Pas d’autre guignol en vue.

Non, je te dis, les Pères Jacques c’est un duo d’âmes en peine. Un tandem de camping, un amour de vacances, du pédalo. C’est un peu Laurel et Hardy, Groucho et Chiko, Bouvard et Pécuchet, Vladimir et Estragon, Belle et Sébastien, Lassie… Qu’est-ce tu veux qu’un tiers vienne briser un pareil équilibre, une harmonie si émouvante ? T’irais, toi, faire partie de Les Pères Jacques après que je t’ai raconté ça ? 

Le troisième, je l’aime pas ! Voilà, t’es content ? Hein ! T’aimes bien foutre la merde dis-moi ! Déjà le petit Black tu m’as un peu chauffé, mais là tu me pousses carrément à bout ! C’est un con ! Il se prend pour Brel. J’aime pas, Brel. Ah, eh pis, merde, j’ai de l’eau dans le casque ! C’est lui qui dirige tout ! Il tire les ficelles, là, dans l’ombre, sournois, tapi comme une anguille, déguisé en pierre au fond de l’aquarium, en bouchon d’évier ! Un vrai guignol ! un guignol’s band à lui tout seul ! C’est lui qui excite les nanas ! Il s’est pointé un beau soir, planqué dans le coffre de la bagnole de l’autre playboy qui venait voir le cacochyme. Il les a laissé parler, façon timide tu vois. Tout allait bien, il jouait avec le rideau on l’avait presque oublié. Eh pis enfin il sort de l’ombre, le chat se met à feuler et il leur fait le coup des nanas, du pognon, des Ray Bans et des lunettes de chiottes, vous inquitez pas les gars, je viens d’une ville d’eau, la Seine y coule, c’est moi qui sait on va vivre comme des rois !... L’idée, évidemment, il l’avait piquée aux deux autres. 

Ça m’écœure. J’ai peine à continuer. 

Ç’aurait pu être un si grand groupe, les Pères Jacques, à deux. Sans falbala, sans chichi, sans tape-à-l’œil, un groupe sain, réaliste, sans paillettes, sans coup de théâtre et, lui, là, le diable en personne, toujours un bras cassé, une clavicule en moins, il se met des plâtres qu’il essuie pas, je suis sûr qu’il a les pieds fourchus, l’autre, le troisième homme, peur sur la ville, il est venu leur ouvrir les chemins de la perdition, le satrape, le buveur de sang, le pharisien, le cénobite, le droit de cuissage, l’apocalypse en skis, une vraie tornade de poudre aux yeux, un vrai nuage de sauterelles, Sardanapale, strass, sturpe et fornication, le vice trempé dans le Styx, de quoi faire tourner chapons tous les enfants mâles de la région, de quoi faire tourner à sec les nourricières morvandelles, de quoi trouver bon le dernier McCartney, un vrai fléau médiatique, Maurice Béjart ressuscité, la poutre dans l’œil du cyclone, un manipulateur en gants blancs, pattes de lapin et dents de velours, Patrick Chesnais sous acide, une âme noire, le pître qui bave à le poupe, un arlequin sardonique, jamais deux pompes de la même couleur, un caméléon, un éléveur de canard, mon nom est personne, le deux ex machina, eh ben il a sauté du coffre, il a joué avec les rideaux, un peu avec Madame Jacques et hop ! tu sais déjà ce que je vais dire : les deux autres ont marché, couru, volé, à pieds joints. A deux en slip, dans le Rubicon et je te jure que dès lors le mauvais sort était jeté. Jamais un coup de dé n’abolira les traquenards.

La ruse, ça été de leur faire croire qu’il lâchait tout. Un carrière, les planches, la télé, le cinéma. Chez Hadès, le cinéma, si tu veux bien, c’était un peu La Grande Vadrouille érigé en film culte, ça pleure sur Jean-Jacques Annaud. Dès qu’il y a plus de trois acteurs, il croit que c’est une comédie musicale. Matt Damon, lui, était abruti par la route, c’est dire ce qu’il en restait. Alors Procustre, qu’était un brigand de l’Antiquité (encore une histoire de lit malfamé), les a allongés les uns après les autres. Non ! pas Madame Jacques, gros dégueulasse, je t’ai dit qu’elle gardait ses distances, ce qui la sauve. Pas les autres. Main dans la main qu’ils ont suivi le joueur de flûte.

 A quoi bon continuer ? Tu l’as compris, à partir de là, les Pères Jacques c’était foutu. C’est comme tout, fallait être là au début. Depuis c’est plus la même chose.

Les Pères Jacques, ça aurait pu être un grand groupe.

Un duo honnête et touchant.

Un couple voyant de l’Europe.

Celui d’un petit black, et d’un Irlandais péteur.

Mais fallait qu’ils y mettent leur grain de sel…